À l'origine, l’émergence de la volonté littéraire est un effort à contre-courant. Dans la construction primitive d’une volonté encore méconnue, des remparts sont forgés, des murs dans lesquels on se forclos pour se donner l’illusion d’être fixé et nous siégeons à notre tour d’ivoire tels des ascètes qui guettent à la fenêtre, sans jamais en sortir. Au sommet de ce rempart érigé, un premier regard bloqué, restreint. Ce que j'en ressors de ce premier lieu de la raison, c'est sa profonde abstraction, illusions dans lesquelles je m'embourbais allègrement qui palliaient facilement mon ignorance. Si le réel n’était pas encore une donnée que je pouvais saisir dans son ensemble, il fallait que je me rétracte dans l’envers du décors, vers ce qui m’était le plus accessible. La négation paraissait donc comme le meilleur parti. Mettre sous silence le sens immédiat du monde qui grouillait au-delà des limites privées et s’enfoncer dans le vacarme individuel. Voilà que je dansais en ronde dans mes bureaux, par moment j’y invitais un ou deux partenaires, mais je leur imposais toujours ma propre démarche et je battais la cadence rigoureusement de peur de perdre le fil, voire de m’empêtrer les pieds dans mon seul mouvement répété. À l’intérieur, c’était moi qui réglait le rythme. J'ai toujours visé un certain but avec les mots. Les effets que je veux donner au langage prennent justement des détours intérieurs, profondément lointains de ma conscience qui ne veut jamais totalement parvenir à la surface du corps, de l’être donné. Je recherche constamment ce qui me fera dévier de la source centrale de la parole. Des détours, des torsions, une ironie tirée par les cheveux mêlés de ma pensée en touffe. J’ai un afro sur la tête, mais à l'intérieur également, et je refuse d’en lisser la texture, plutôt je m’y fraie un chemin et tourne en rond dans les entrelacements qui ne se déferont jamais sous mes doigts intrusifs, j’y passe la main et recrée des noeuds encore plus serrés. Au moins, par habitude, je sais par où faire passer mes griffes afin d’esquiver les pièges potentiels et me retrouver la patte enserrée dans un buisson inextricable. Imaginez seulement un tiers qui ne saurait démêler mon tas de branches, par quel bout prendre la tignasse. Je préfère tout de même en parler comme d’un panache qui me donne fière allure, par ses variations flexibles qui me changent de tête. Je les remets en tout sens, mais au bout du souffle, je les étouffe dans un chignon fermé et bien serré, afin que rien ne bouge plus !
Bref, je me suis à nouveau perdu dans mes cheveux tandis que je voulais premièrement discourir sur l’origine des mots. Des fois, il me semble que la raison des mots est accessoire, seule leur résonance en ma mémoire linguistique sert de raison ultime à ma plume. Je pince des cordes qui vibrent en mon sein et je me plais à ressentir toutes les ondes qui traversent ma caisse intérieure, les moindres vibrations qui voyagent dans mes ramifications souterraines. Cependant, avant le simple plaisir sonore, l’utilité régissait autrefois ma voix. La rectitude avec laquelle j’ai cisaillé mon imagination n’était qu’un leurre ontologique, la valeur de mon être était un bricolage, un joli dessin aux lignes mesurées dans lesquelles je versais des tons de couleurs monotones, simples, mais unis et bien appliqués; rien ne devait dépasser et, certes, rien ne dépassait. Je pesais si fort sur ma mine aiguisée que la platitude mate de mes pensées tapissait la fresque méthodique de mon bureau. Tous les jours je contemplais le ciel de mes Idées et je ne réalisais sûrement pas qu’il s’agissait d’une vitre claire que j’astiquais maladivement pour que le tout m’apparaisse plus limpide. La lumière y pénétrait directement et j’avais presque l’impression de pouvoir m’y envoler et voguer comme ces corps libres, virevoltant entre les nuages. Seulement, au moindre élan, je me serais bêtement heurtée contre la paroi vitrée de mon enclos. Une pauvre mouche qui ne trouve pas la sortie. Éventuellement, la désillusion me donna l’effet de tomber des hauteurs de ma tour divine, m’écraser sur le sol dur et plat du réel, toujours réel. Je n’y avais pas échappé, malgré la sophistication de mon isolement. Le monde était un virus à mon esprit et je me suis moi-même mise en quarantaine afin de soigner les maux profonds qui m’affaiblissaient. Les soins prodigués étaient pourtant de fausses prothèses sur lesquelles j’opérais les mouvements de mon corps et une fois le moment de reprendre la marche véritable, de retomber sur mes pattes et avancer sur les routes sinueuses de cette existence, mon corps chancela et je me pliai sous le poids de mes lacunes; je n’avais pas pensé à ça, je n’avais pensé à absolument rien de tout ça en fait, mes seules préoccupations était de savoir si Descartes était bel et bien dans un rêve ou non. Mais qui suis-je en fait, quel est cet univers qui m’était fermé jusque là, où m’étais-je terrée depuis tout ce temps ? La simulation de l’être vrai s’est révélée profondément inadéquate à la chose en soi. Je vivais dans l’Idée, grande Idée, qui au fond ne valait rien.
À présent, j’ai épuisé les métaphores sur la pensée, je la retourne en tous sens pour lui en redonner un neuf, mais être à l’intérieur même de la pensée, au centre même de l’idée telle qu’elle advient, est une délicieuse utopie. Je tente de reconstituer une fausse map de ma conscience sur papier, je connecte les bouts de fil de mon circuit intérieur et en dessine le schéma sur papier. Seulement, je suis toujours en quête des terres isolées, à la recherche de l’Atlantide, ensevelie dans les abysses profondes, et je poursuis des routes méconnues qui me révéleront les lieux cachés.