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La technologie du language

 En insufflant au langage toutes ces lois, le système a pris forme et a développé sa propre intelligence. Quand nous l’utilisons alors, il sert à clarifier nos idées, car nous avons dû les «plier» aux nécessités, aux fonctions, du langage et à travers ce système nous visualions mieux le sens de nos pensées profondes. La logique des mots, à laquelle nous devons nécessairement nous conformer pour justement utiliser cet outil qu’est le langage, est un espace dans lequel nous pouvons organiser notre pensée en vue de la rendre intelligible et visible à travers des symboles aussi simples et définis que des mots. Ceux-ci ne sont certainement pas la finalité de l’action réflexive, les mots ne sont pas l’essence même de notre vie psychique, mais ils sont un canevas, une surface, qui nous permet de mieux voir, de mieux saisir la complexité parfois opaque de nos émotions et de nos intentions. Nous parvenons dès lors à déterrer notre voix profonde, celle qui s’avère trop souvent étouffée par le chaos de notre incessante marée intérieure, noyée dans le flot impétueux de notre vie inconsciente. Le langage sert à brider et à diriger ces mouvements en apparence disparates qui nous fragmentent et nous drainent. Mais, en réalité, l’écriture aide à révéler l’ordre sous-jacent de ce chaos apparent. Il n’y a pas de chaos, il y a avant tout des mouvements si multiples et complexes qu’ils échappent à notre prise et nous nous retrouvons dépassés par la vitesse fulgurante de leur action. Lorsque nous utilisons le langage, ou peut-être plus l’écriture, pour méditer sur nos sentiments, ceux-ci apparaissent soudainement plus limpides ou simplement plus palpables, permettant de clarifier les doutes qui nous assaillent et d’apaiser le conflit intérieur, car la confrontation se manifeste concrètement. Mais, pour parvenir à ce point (cette synchronicité avec soi), il faut écrire sans complexe, sans se mentir à soi-même. Toujours maintenir, entretenir, l’intention de toucher au Vrai. L’écriture est avant tout un médium pour mieux revenir à soi-même, c’est pourquoi il ne faut pas se limiter, se restreindre à la forme abstraite du mot, à sa simple fonction communicative, mais révéler le sens derrière le symbole, évoquer l’essence du réel qu’on tente de décrire et le laisser transparaître à travers sa plume. À mesure d’écrire, de formuler, de raconter, notre plume creuse sa substance de plus en plus profondément, trace toujours plus finement les détails et sculpte plus précisément sa matière. Les traits s’affinent, la vision se précise, la matière se sculpte de mieux en mieux. Notre vie intérieure apparaît initialement comme ce bloc homogène, cet amas informe de sensations multiples et projetées dans toutes sortes de directions. Notre plume est alors ce fin instrument avec lequel nous traçons des formes particulières et nous sculptons graduellement cette matière qui est purement la nôtre. Nous créons un trajet dans la matière. L’intention qui précède ce tracé est propre à l’individu, il n’y a pas un modèle précis de bonne intention, qu’elle soit préméditée, visualisée à l’avance ou simplement lancée librement dans ce bloc de matière, le but est simplement de tracer, de former, de moduler, de créer des figures à partir de cette substance qui est la substance même de notre âme, de notre être. Nous parvenons finalement à démystifier cette substance, à observer la forme tracée afin d’y lire quelque chose de plus profond sur soi ou autre.

 L’écriture manifeste le processus même de cet échange, de ce dialogue entre le langage et les idées (ou simplement les pensées), entre les mots et l’Auteur (le sujet). Les lignes, le parcours de ces deux entités - Langage et Sujet - se croisent sur le papier par l’entremise des symboles, de l’encre et de ses directions choisies. Le but est bien sûr qu’elles se synchronisent et cette synchronisation se fait naturellement. Écrire permet la communication des mondes psychiques, des dimensions de l’esprit, de la multiplicité intrinsèque de la pensée. Il y a rencontre entre notre monde intérieur et l’interface du langage, entre la pensée et la connaissance objective d'un système linguistique appris. Et nous en dessinons les formes, l’effet du croisement de ces chemins.