Une plume pour creuser
La volonté d’écrire découle souvent d’une nécessité spirituelle, d’une guérison ou d’un renforcement de la conscience. L’usage et la maîtrise des mots servent à corroborer une certaine impuissance de la parole, de combler ses insuffisances. Écrire révèle l’impossibilité de dire, de formuler des pensées, malgré leur profonde évidence intérieure, mais écrire révèle également la possibilité de mettre les bons mots sur les bonnes choses et de rendre la pensée transparente à elle-même. Dès lors, cette tension entre l'intelligibilité du langage et l’ambiguïté du discours intérieur est l'un des premiers terrains de la littérature. La distance qui existe entre la réalité des sens et la réalité des mots qui veulent la décrire constitue le jeu même de l’écriture. Les multiples couches de sens qui composent l’esprit du langage est à la fois le problème et la solution de l’écrivain, car c’est parmi elles qu’il trouve sa profondeur, qu’il est en mesure de creuser la terre de sa conscience, mais parfois de s’y perdre au risque de prendre les mots pour la seule réalité valable. A priori, les systèmes de mots nous permettent d’utiliser les mêmes symboles pour exprimer les mêmes choses, mais à mesure que les humains tentent de décrire des objets et des phénomènes de plus en plus complexes, impalpables, les définitions se confondent et les individus se regroupent selon leur propre vision des mots, selon leur propre façon de décrire le réel. Ainsi, les communautés de pensée, les idéologies, ne sont pas uniquement le fait d’une proximité culturelle, mais le fait de références similaires, d'un langage commun. Les oppositions de discours découlent en grande partie d'une corruption du langage, d'un mépris des définitions, d'un usage détourné des mots. Le langage dirige grandement notre perception et notre rapport au monde, agissant comme une grille sur le réel. Ces derniers devraient avant tout nous permettre de communiquer et d'agir collectivement; ce ne sont absolument pas des outils pour donner raison et manipuler les idées. Disposons donc du langage afin de partager nos visions, de nourrir le dialogue et de clarifier la pensée, à défaut d’en faire une finalité et une contrainte. Faisons également de la complexité des mots un jeu, un moyen de manipuler les possibilités de sens et de réinventer leur irréalité. Créons de l’art avec les mots!
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